Dans le monde du vin, parler des vins naturels, c’est un peu comme lâcher un :
« Et vous pour qui vous votez ? » dans un repas entre amis.
À ce moment précis, il y a deux solutions :
- Soit, tout le monde répond la même chose et mange son sanglier avec un air satisfait.
- Soit, le sanglier profite de la bagarre pour se faire la malle et chacun mange son dessert en faisant des petits ronds avec sa cuillère…
Pour éviter la deuxième hypothèse, mieux vaut respirer un grand coup et laisser ses préjugés de côté…. Exactement ce qu’il faut pour aborder le sujet du jour.
Donc les pro-vins natures, rangez vos fourches et allez vous laver sous les bras.
Quant aux anti-natures, buvez un verre de sulfites, vous irez désherber votre jardin plus tard !
Histoire et air du temps
Le mouvement du vin naturel prend racine au début XXe siècle. À ce moment-là, de grandes manifestations de vignerons éclatèrent pour protester contre l’industrialisation et la standardisation des vins. En 1907 à Montpellier, C’est 600 000 vignerons qui scandent « Vive le vin naturel !!! ». Les pratiques industrielles scandalisaient déjà bon nombre de producteurs. C’est à la suite de ces manifestations que le mouillage (ajout d’eau) et l’abus de sucrage furent interdits.
C’est dans les années 80 que ce mouvement rencontre son public. L’envie d’un « retour à la nature » met en lumière et donne du corps au concept de vin naturel.
Rebels au Naturel
Déjà, le label « vin naturel » n’existe pas ou du moins, il n’a pas de valeur juridique. C’est une association, l’AVN (association des vins naturels) auprès de laquelle les vignerons adhèrent et s’engagent à respecter un cahier des charges. Parmi les règles établies, le vin naturel est un vin dont les raisins sont issus de l’agriculture bio ou bio dynamique et auquel aucun intrant n’est ajouté lors de la vinification, excepté un maximum autorisé de 30 mg de soufre pour les rouges et 40 pour les blancs (max 200 mg pour le conventionnel et 100 mg pour le bio). Beaucoup de ces vignerons n’en mettent pas du tout.
Les levures utilisées pour transformer le jus de raisin en vin sont indigènes, c’est-à-dire qu’elles sont issues de la cave de vinification, elles agissent naturellement, mais plus lentement.
Autre technique permise pour la vinification : la macération carbonique.
La technique consiste à mettre les raisins entiers (ni éraflés, ni foulés) dans une cuve en anaérobie (sans dioxygène) et saturée en Co2. Les raisins sont donc dans un endroit hermétique et qui permet une fermentation relativement intense. Cela donne par la suite des vins qui ont une structure souple et qui dégagent des arômes de fruits frais, croquants.
Par contre, cette technique demande une certaine rigueur pour éviter toute déviance (piqûre acétique ou malique) et une vendange manuelle. Elle permettait cependant d’éviter l’utilisation de soufre…
Tout le travail de ces vignerons sera d’anticiper, de prévenir par un savoir-faire viticole, tous les impondérables.
Être "vigneron nature", c’est pour eux, se mettre en retrait et laisser le vivant s’exprimer, écouter ce qu’il a à dire, être le moins interventionniste possible sur leur terre et dans leur cave. C’est revenir au métier de paysan avec ce que cela implique comme souci de l’écologie, de la biodiversité, de composer avec la nature, et même si nature veut dire bactéries.
C'est aussi refuser un système qui à l'inverse, standardise, exploite et asservie une végétation à des fins, aussi bien commerciales qu'économiques et cela au-delà de la question viticole. La marginalisation en somme... mais la liberté du coup! La liberté dans leurs choix de plantation, d'assemblage et c'est pour cela, aussi, que l'on retrouve la plupart des vins naturels en " Vin de France" (Mon article sur le sujet : ici).
Au final, l’objectif est que le vin que vous trouviez dans votre bouteille soit l’expression d’un terroir, des cépages et d’un millésime.
Naturel… Mais par rapport à quoi ?
La réglementation des pratiques de la viticulture et œnologique, est régie par l'Union Européenne. Cette dernière autorise un tas de procédés afin de maîtriser ou corriger certains facteurs comme les affres du climat ou bien empêcher certaines déviances ou bactérie lors de la vinification. Pesticides, cuivre, sulfites, levures… Tout un arsenal est à disposition pour assainir ou maîtriser son produit. Mais cela va même plus loin, il existe des copeaux de bois que l’on fait infuser lors de l’élevage afin de donner des tonalités boisées au vin…
Les petits (ou les petites) chimistes redoublent d’inventivité.
Pour permettre à plus d’industriels de vendre des cuvées « sans sulfites ajoutés ». Des levures exogènes de laboratoire sont déjà utilisées, capables de remplacer le soufre lors des vinifications. On appelle cela la bio protection. Avec ces nouvelles méthodes autorisées par le cahier des charges européen, les raisins fermentent uniquement avec une levure étrangère fabriquée : le vin est “sans soufre” mais perd l’expression du terroir qui l’a vu naître.

Tout cela est permis. Ce n’est pas très rassurant, ni très dans l’air du temps, mais on ne va pas découvrir aujourd’hui que l’industrie agroalimentaire ou chimique est partout.
Une fois que l’on fait ce constat désolant, il faut rappeler, quand même, que tous les vignerons n’ont pas recours à toutes ces pratiques, bien loin de là.
Et il faut d'ailleurs rendre aux oenologues le mérite d'avoir rendu le vin stable et sain dans une certaine mesure. Ils travaillent étroitement avec les vignerons afin que leur millésime soit de qualité sans forcément dénaturé
"J'ai fait un rêve"
Écrire cet article est un numéro d’équilibriste.
Il ne s’agit pas pour moi de dire, il y a les gentils d’un coté et les méchants de l’autre.
C’est, évidemment, plus compliqué (Le monde du vin naturel est même divisé sur certaine vision de leurs pratiques).
On ne peut pas résumer le monde du vin en deux camps… Ou bien, il faudrait en rajouter un troisième.
Le premier, celui des industriels, dont le travail consiste à produire en quantité et faire du vin qui correspond (soit disant) à ce que les gens attendent, avec une grosse dose de marketing derrière.
Le deuxième, les "vignerons natures" qui vont au bout d’une démarche, d’une philosophie, quitte à ne pas plaire !
Et le troisième, presque tous les autres…
Les bio et les biodynamiques, les HVE, et même ceux qui ne se revendiquent de rien (un exemple ici), ceux qui ont compris depuis trop longtemps qu’il fallait supprimer ou réduire le maximum d’intrant possible. Car on ne peut revendiquer l'identité d'un terroir, d'un millésime, si on donne à son vin le visage que l'on voudrait pour soi ou sa clientèle.
Faire la transition vers la production de vins natures lors que l'on est, par exemple, vigneron en conventionel depuis quatre générations sur 70 hectares, que l'on produit 150000 bouteilles par an et que l'on a un réseau de distribution qui s'attend à gouter "votre style".
Une transition radicale vers cette viticulture serait un saut dans le vide... Alors il faut du temps, y aller par petite touche.
Mais ce qui est sûr, c'est que chez les indépendants, on y vient tout doucement. Trop lentement pour certain, car la santé du vivant n'attend pas, mais la prise de conscience est inévitable... Alors, un jour, un vin naturel sera, on l'espère, un vin comme les autres.
Alors si vous n'avez pas encore testés les vins naturels, c'est le moment de vous lancer !
Voici un site de vente en ligne que avec une belle sélection : Vin chez nous
En attendant, mes deux premières sélections rien que pour vous :
Suck a Rock - Sylvain Bock - Vin de France - 2018

« Donnez un terroir à dix vignerons natures et ils vous feront dix vins différents. Donnez dix terroirs à un œnologue et il vous fera le même vin. »
Voilà ce que peut vous dire Sylvain Bock, une figure du vin naturel.
Lui, se définie simplement comme bon vivant et n’envisage pas de boire un vin qui, justement, ne respire pas… le vivant.
Ce vigneron Ardéchois, installé depuis 10 ans à Alba-la-Romaine, s’est formé au domaine du Mazel, chez Gérald Oustric, pionnier et grand nom du vin naturel.
C’est ici qu’il a appris à être un paysan… Celui qui « compose avec le vivant », et qui fait du vin sans chambouler les organismes naturels. C’est devenu aujourd’hui pour lui, une conviction intime. Dans les vignes, c’est le travail « classique » d’un vigneron nature :
- Stimulation de la vie microbienne des sols avec des composts jeunes ou des engrais verts.
- Labourage d’un rang sur deux (l’autre reste enherbé).
- Traitement des vignes avec des décoctions de prêle et des tisanes pour stimuler les défenses naturelles de la plante, ce qui permet de diminuer les doses de cuivre.
Les parcelles de Sylvain Bock, éparpillées ici ou là, sont bichonnées avec soin.
Dans la cave, les cépages sont vinifiés séparément et en macération carbonique.
Le Vin :
C’est avec un cépage d’origine bordelaise, le Merlot, qu’est réalisée cette cuvée. À ma grande surprise, et parce que j’ignorais le cépage lors de la dégustation, je pensais avoir à faire à une Syrah. C'est aussi la magie du vin naturel, le vin s'exprime comme ceci là ou comme cela ici...
Des arômes de fruits rouges mûrs, d’épices, de violette et de rose se dégagent du nez.
La bouche est fraîche et florale, la matière soyeuse avec des tanins enrobés. L’équilibre est parfait et droit pour ce vin d’une grande élégance.
La finale est on ne peut plus fraîche et toujours sur cette violette.
Un véritable travail de précision !
Prix : 16 euros

Si vous ne connaissez pas les frères Soulier, c’est le moment de vous pencher sur leurs vins.
Trentenaires, Guillaume et Charles sont basés à St-Hilaire-d’Ozilhan (Gard). Enfants de Viticulteur (conventionnel), ils reprennent le domaine de leurs parents, en 2014 avec l’envie de faire autrement, mais « On ne se réveille pas un matin et on se dit, je vais faire des vins naturels ! », Sûrement, mais à force d’apprentissage, de travail et de « bon sens », ils finissent par adopter cette philosophie.
Chez les frères Soulier, on cultive sur 8 hectares en biodynamie, on travaille le sol à cheval et ce sont les chèvres qui désherbent. Aucune chimie, évidemment, et les vinifications sont minutieuses.
Si vous avez aimé une cuvée, faites le plein, car vous ne la retrouverez pas l’année suivante, car chaque cuvée est le reflet de son millésime.
C’est le cas de la cuvée du jour : Coulure
Ce vin est un 100 % grenache dont les vignes, âgées de plus de 60 ans, ont subit en 2017 de la… Coulure. Cela se traduit par une chute des fleurs et produits des grappes avec très peu de grains de raisin. Résultat un rendement : 7 hl à l’hectare.
Les causes de ce phénomène sont nombreuses et peuvent venir, entre autres, d’intempéries pendant la floraison.
Tous les vignerons se passeraient bien de ce phénomène, mais quand on voit le résultat en bouteille, on peut dire que la nature fait bien les choses :
Sa robe rouge est intense. Son nez est très expressif.
On y trouve un curieux mélange de cerises mûres (voir de bonbon à la cerise), d’écorces d’oranges amères et d’épices. Des arômes de sous-bois et de silex (la fameuse pierre à fusil) viennent emballer le tout. En bouche, l’intensité aromatique se confirme et les arômes s’énumèrent comme pour le nez.
Chaleur, Gras et tension fraîche envahissent le palais et vous fait perdre vos repères. Les tanins sont fermes, mais sans aucune agressivité.
La finale se tient longtemps sur la cerise et les écorces d’orange.
Coulure est donc un vin riche, complexe, puissant et charnu.
Beaucoup de choses dans ce vin qui m’a rendu un peu fou, je dois le dire… On a qu’une envie, c’est d’y retourner.
Prix : 31 euros
Le site des frères Soulier : ici
A bientôt pour d'autres cuvées... naturelles.
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